CHRONIQUES DE LAURENCE JAMOTTE

3 Janvier 2000-Un siècle cache l'autre...
Que faut-il retenir du siècle qui s'achève ?(1) Le pire ou le meilleur ? Parce que, effectivement, le 20ème siècle a connu le pire et le meilleur. Il restera à jamais le siècle d'Auschwitz, d'Hiroshima, des goulags de Sibérie, du génocide rwandais, ... De l'autre coté, le 20ème siècle est aussi celui de l'émancipation des idées, des hommes et des femmes, de la fin du colonialisme et de l'apartheid, de la chute du mur, des progrès fulgurants de la science, comme en témoigne le premier pas sur la lune,...
Bien sur, la liste des malheurs et des bonheurs du siècle est trop longue à livrer ici. Mais, un constat s'impose. Les avancées réelles que ce siècle a engendrées ne doivent en aucun cas nous aveugler, nous empêcher de voir les reculs . L'audace des sciences et de la connaissance a permis le progrès et le changement radical des conditions de vie de la moitié de l'humanité, mais elle a par ailleurs oublié la seconde moitié et elle a même produit, en plusieurs endroits, le chaos.« Eblouis par la clarté du savoir, sans doute avons-nous oublié que, plus forte est l'illumination, plus denses sont les ombres portées. Nulle être, nulle chose, nulle idée ne reçoit de lumière sans projeter d'ombre », explique fort justement le physicien et épistémologue français Jean-Marc Lévy-Leblond (2), dans les colonnes du Nouvel Observateur.
Les jeux d'ombres et de lumières frappent finalement peu nos consciences, assomées par le flot d'informations diffusés par les médias, engluées par nos petits soucis quotidiens. Aujourd'hui, plutôt que de mettre les compteurs à zéro, d'effacer des mémoires les heurts et malheurs du siècle, il serait bon de se souvenir, sans cesse, que derrière l'Histoire, presque abstraite qui s'écrit dans les recueils dorés des bibliothèques, derrière l'ombre et la lumière des faits et des événements, se cache une multitude d'histoires, celles des hommes et des femmes. Ces histoires-là sont bien réelles, concrètes. Leurs acteurs sont fait de chair et de sang, de rêves et de peurs.
A bien y regarder, le 21ème siècle semble commencer comme le précédent se termine, dans l'indifférence face aux histoires individuelles et malheureuses, qui pourtant ne manqueront pas d'entrer dans l'Histoire. Une Histoire relatant les batailles, les victoires, les défaites et le décombre macabre des vies perdues, mais oubliant les parcours individuels interrompus trop tôt, en Tchétchénie, au Cachemire, ou ailleurs.

(1) Il faut concéder aux puristes que le 21ème siècle ne commencera qu'au premier janvier 2001. Mais dans la plupart des esprits, il a déjà débuté.
(2) Dans les colonnes du Nouvel Observateur du 23-29 décembre 1999

©Laurence Jamotte, 2000.