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CHRONIQUES DE LAURENCE JAMOTTE
2 Décembre 1999-Les enjeux alimentaires, un défi planétaire
Quel avenir pour notre alimentation ? Ces derniers jours, en marge du sommet
de l'OMC (Organisation mondiale du commerce), la question est revenue sans
cesse. Beaucoup de producteurs, essentiellement en Europe et dans les pays
du tiers monde, soulignent les dangers de l'agriculture industrielle. Ils
voient d'un mauvais oeil la levée des barrières tarifaires sur les produits
agricoles.
La concurrence risque en effet d'affecter fortement les économies de ces
pays. Le danger est particulièrement alarmant pour les pays en voie de
développement. Les produits industriels, proposés à des prix défiant toute
concurrence, déstabiliseront sans aucun doute les marchés locaux. Il y a
fort à parier que les petits paysans ne résisteront pas et se retrouveront,
ainsi que leur famille, sans revenu. Cette situation ne pourra qu'accroître
leur dépendance alimentaire à l'égard des puissances commerciales.
L'argument principal en défaveur d'une libéralisation sur les produits
agricoles est avant tout éthique. La nourriture n'est pas un bien comme les
autres. Elle répond à un besoin essentiel pour l'homme : se nourrir. Or,
force est de constater que ce droit n'est pas reconnu à tous.
En 1998, selon Jean Ziegler (1), plus de 30 millions de personnes sont
mortes de faim dans le monde et plus de 800 millions souffrent de
malnutrition sévère et permanente. Deux milliards de personnes souffrent de
carences en vitamines, protéines et minéraux, en raison d'une alimentation
déséquilibrée. Trois quarts des individus qui ne mangent pas à leur faim
vivent dans les campagnes des pays pauvres, en Asie, Amérique latine et en
Afrique.
Les sécheresses et autres catastrophes dites " naturelles ", les guerres et
conflits n'expliquent pas tout. La surpopulation non plus. Les capacités de
production agricole permettent aujourd'hui de nourrir sans problème 12
milliards de personnes, soit le double de la population mondiale actuelle.
En réalité, la faim tient davantage au partage inégal des ressources et des
richesses, puisque la production alimentaire ne s'ajuste qu'à la demande
solvable. Or, à l'heure de la mondialisation et d'une croissance mondiale
globalement positive, l'inégalité se poursuit. Dans 72 pays, le revenu moyen
est plus bas aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Il est dès lors urgent de
s'interroger : la loi du marché doit-elle s'appliquer au détriment du droit
à se nourrir ? Les membres de l'OMC ne peuvent éluder la question. Lutter
contre la faim constitue un défi planétaire, bien plus important que la
défense des seuls intérêts commerciaux. Le monde n'avance pas avec des
ventres creux...
(1) Jean Ziegler, "La faim dans le monde expliquée à mon fils", éditions du
Seuil, 1999.
©Laurence Jamotte, 1999.
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