CHRONIQUES DE LAURENCE JAMOTTE

11 novembre 1999-Allemagne : quand on mourait pour le mur...
Il y a 10 ans, il avait 20 ans. Il y a 10 ans, il est mort. Trop jeune. Trop tôt. Il voulait traverser la rivière, franchir la frontière, tourner le dos au mur. Il est mort trop jeune, trop tôt, en février 1989.
Depuis, le mur est tombé..."Trop de dictature tue la dictature", "liberté", scandait une population emmurée. Le 9 novembre 1989, sous la pression populaire, le régime est-Allemand, au bord de la faillite, ouvrait finalement la frontière qui a séparé durant 28 ans les deux Allemagnes. Les visages étaient réjouis, le champagne et la bière coulaient à flot. Ou plus simplement le café, denrée rare à l'Est. Une marée humaine, de plus d'un million de berlinois de l'Est, avait envahi en un week-end les rues de l'Ouest et goûté, les yeux ébahis, aux vitrines de l'Occident. A peine onze mois plus tard, toute l'Allemagne ne faisait plus qu'un seul Etat.
Aujourd'hui, si la guerre froide n'est déjà plus, pour beaucoup, qu'un mauvais souvenir, de nouveaux murs se sont malheureusement érigés. Les dures réalités sont rapidement apparues, l'espoir d'une vie meilleure retombé. Même si elles tendent à se réduire, les inégalités persistent. l'Allemagne compte 4 millions de chômeurs, avec un net clivage entre l'Ouest (8,3%) et l'Est (17,3%). De 85 à 90% des emplois industriels ont été perdu à l'Est. L'heure de main-d'oeuvre revient à 45,2 mark à l'Ouest contre à 32,97 à l'Est. Certes, le PIB par habitant de l'Etat à doublé de 1991 à 1997. Et les salaires ont rattrapé la majorité de leur retard sur l'Ouest : ils en représentent 77% aujourd'hui, contre 48% en 1990.
Mais face à l'euphorie des premières heures, l'amertume est grande. Des frontières, moins visibles mais néanmoins réelles, divisent encore l'Allemagne. Au delà du Rhin, deux sociétés distinctes vivent toujours côte à côte. Selon une étude réalisée en Saxe, 81% des personnes interrogées de ce land (de l'ex-RDA) se considèrent comme citoyen de l'actuelle république fédérale, mais ils sont aussi 79% à se voir comme citoyen de l'ex-RDA. Et 53% ont l'impression d'être des citoyens de seconde zone.
A L'heure du bilan, la modestie est donc de mise. L'Allemagne et l'Europe doivent abattre d'autres murs et relever de nombreux défis... Mais si le "mur de la honte" n'était pas tombé, combien d'anonymes, comme Chris Geoffroy, seraient mort trop jeune, trop tôt, simplement pour avoir voulu regarder de l'autre côté du mur?

©Laurence Jamotte, 1999.